Accéder au contenu principal

Lester Bangs - Psychotic Reactions & autres carburateurs flingués

Lester Bangs est considéré comme l'un des critiques les plus influents de l'histoire du rock, celui que beaucoup associent aux débuts du punk, ayant même soit-disant inventé le terme. Sa vie fut aussi courte que nombre de ses idoles, puisqu'il mourût à l'âge de 34 ans des suites de complications respiratoires, sans doute liées aux nombres considérables de substances qu'il pouvait absorber. Il a quand même eu le temps de travailler pour la plupart des grands magazines rock américains : "Rolling Stone", "Creem" dont il a grandement participé à la légende et "Village Voice". Influencé par la Beat Generation, Burroughs ou Kerouac, ses critiques étaient souvent de longues digressions ponctuées de quelques fulgurances où il laissait libre cours à son imagination. Partant dans tous les sens, il était parfois difficile à suivre, car il rédigeait bien souvent ses chroniques en écriture automatique. Mais il y avait une constante chez lui, c'était son refus absolu du sérieux. Il était passionné de rock mais considérait cette musique comme mineure et n'avait pas peur de salir des icônes inattaquées ailleurs. Son modèle absolu était Lou Reed (et l'inaudible "Metal Machine Music" son disque culte) auquel il donna de nombreuses interviews particulièrement savoureuses, c'était à qui des deux enverrait le plus de piques assassines; l'ex-leader du Velvet Underground étant bien connu pour son côté bourru, antipathique et misanthrope.
Lester Bangs était malgré tout un journaliste intègre, débusquant chez les rockeurs les calculs et les impostures et ce qu'il vomissait par-dessus tout : le manque de respect vis à vis du public. C'est pourquoi The Clash était aussi un de ses groupes préférés. Beaucoup de monde se réclame aujourd'hui plus ou moins consciencieusement de sa plume, de sa démarche, mais son écriture déglinguée, très liée il faut bien l'avouer à son époque, reste unique. Ce livre, recueil d'une grande part de ses écrits, - que je viens seulement de terminer - demeure un témoignage essentiel d'une période aujourd'hui révolue où le rock correspondait encore à une certaine forme de religion.

The Count Five "Psychotic Reaction" :

Ce titre était pur jus de cabanon complètement niaiseux. Ils commençaient par un riff piqué à un hit de Johnny Rivers [...] puis se lançaient dans des paroles qui comptent parmi les plus idiotes de tous les temps.[...] De la dynamite pure.

Question Mark & The Mysterians "96 Tears" :

Le monde musical est plein de crétins et de charlatans, avec au milieu un génie ou un cinglé. J'ai vu tout cela dans les affres de Question Mark and The Mysterians, et plus encore, je me suis vu en vieillard hébété, tenant un exemplaire de "96 Tears", les yeux perdus dans le vague, la mâchoire pendante, au déclin d'une vie gaspillée.

Van Morrison "Madame George" :

"Madame George" est le sommet de l'album. C'est sans doute un des morceaux de musique les plus compatissants jamais écrits[...] Sa beauté, sa sensibilité, son caractère sacré, tiennent à ce qu'elle n'a rien de sensationnaliste, de clinquant ou d'exploiteur : [...] elle parle d'un individu, comme toutes les plus belles chansons, toute la plus grande littérature.

The Stooges "Tv Eye" :

Vient ensuite "TV Eye", le titre le plus accompli de l'album. [...] Voici les Stooges au sommet de leur forme - bousillés, bousilleurs, erratiques, mais rythmiquement parfaits à chaque seconde.

The Troggs "Wild Thing" :

Je ne suis pas aussi désespéré que j'en ai l'air, mais "Wild Thing" c'est le rock dans ce qu'il a de plus majestueux, et en dépit de tout le volume de produits, nous n'avons plus beaucoup de "Wild Thing" ces temps-ci.

Richard Hell & The Voidoids "Blank Generation" :

"Les gens ont mal compris ce que j'entendais par "Blank Generation". Pour moi, "blank", c'est une ligne où on peut écrire n'importe quoi. C'est positif. C'est l'idée que tu as l'option de te créer toi-même comme tu veux, de remplir la ligne." (Richard Hell)

Public Image Limited "Theme" :

C'est de la musique négative, en tout cas de la musique glauque, venue de l'autre côté de quelque chose que je ressens mais que je ne veux pas franchir[...] Vous pouvez rire hystériquement de tout ça, comme un pote à moi qui a tenté de se suicider à deux reprises. Quand je lui ai passé "Theme" et lui ai demandé : "Tu peux apprécier ça ?", il a ri encore plus fort. "Sur, a-t-il dit. Comme tout le monde!"

Rod Stewart "Maggie May" :

Je crois qu'en définitive tout ça se réduit à une question de priorités : préférez-vous être le navire ou la cargaison ? Il a fait son choix, j'ai fait le mien, et j'espère que vous en ferez tous autant : Santé.

Commentaires

  1. Lester Bangs est LE plus grands rock critiques de tous les temps, celui qui m'a le plus passionné et séduit.
    Ce livre, "Psychotic Reaction...", je l'ai depuis sa traduction en 1996 et je l'ai dévoré et relu mille et une fois. Sa plume était virtuose, un immense poète de la critique rock. La façon qu'il avait de parler des disques, mêlant dans un même élan de poésie : l'album critiqué, réflexions existentielles, détails autobiographiques, le dérisoires et le futiles, le petit et l'infini, la fulgurance de l'infiniment petit discours du rock sur la vie mais tellement indispensable !!!
    Son papier sur les Clash, quand il narre sa tournée avec eux en Angleterre, demeure un des plus beaux témoignages sur ce groupe au combien mythique et intègre !!!!
    A noter, le second volume de ces chroniques.

    Merci pour ce sublime post, merci de raviver la flamme de cet écrivain génial. D'ailleurs, il disait ceci :
    "J'étais peut-être candidat - sinon aujourd'hui, du moins demain - au titre de meilleur écrivain d'Amérique. Qui était le meilleurs ? Bukowski ? Burroughs ? Hunter Thompson ? Laissez tomber. J'étais le meilleur. Je n'écrivais pratiquement que des critiques de rock, et encore, pas tant que ça....."
    TOUT EST DIT !!!

    A + +

    RépondreSupprimer
  2. @Francky : Merci pour le complément (et le compliment :)
    A+

    RépondreSupprimer

Enregistrer un commentaire

Posts les plus consultés de ce blog

James Yorkston, Nina Persson & The Second Hand Orchestra - The Great White Sea Eagle

  Après la parenthèse de l'iguane, revenons à de la douceur avec un nouvel album de l'écossais James Yorkston et son orchestre de seconde main suédois - The Second Hand Orchestra, c'est leur vrai nom - mené par Karl-Jonas Winqvist. Si je n'ai jamais parlé de leur musique ici, c'est sans doute parce qu'elle est trop discrète, pas assez moderne et que leurs albums devaient paraître alors que je donnais la priorité à d'autres sorties plus bruyantes dans tous les sens du terme. Je profite donc de l'accalmie du mois de janvier pour me rattraper. Cette fois-ci, avant de rentrer en studio avec leur orchestre, Yorkston et Winqvist se sont dit qu'il manquait quelque chose aux délicates chansons écrites par l'écossais. Une voix féminine. Et en Suède, quand on parle de douce voix mélodique, on pense évidemment à Nina Persson, l'ex-chanteuse des inoffensifs Cardigans dont on se souvient au moins pour les tubes " Lovefool " et " My favorite

Lucie

L'autre jour, en lisant l'article intitulé « ça rime à quoi de bloguer ? » sur le très bon blog « Words And Sounds » - que vous devez déjà connaître, mais que je vous recommande au cas où cela ne serait pas le cas - je me disais, mais oui, cette fille a raison : « ça rime à quoi la musique à papa? ». Enfin, non, sa réflexion est plutôt typiquement féminine : trouvons un sens derrière chaque chose ! Nous, les hommes, sommes plus instinctifs, moins réfléchis. C'est sans doute pour ça que dans le landernau (je ne sais pas pourquoi, j'aime bien cette expression, sans doute parce que ça fait breton :-) des « indierockblogueurs », il y a surtout des mecs. Un mec est par contre bizarrement plus maniaque de classements en tout genre, surtout de classements complètement inutiles dans la vie de tous les jours. Pour ceux qui ne me croient pas, relisez donc Nick Hornby. Et je dois dire que je n'échappe pas à la règle, même si j'essaie de me soigner. J'ai, par exemple,

Top albums 2023

2023, fin de la partie. Bonjour 2024 et bonne et heureuse année à toutes et tous ! Je termine cette fois-ci un premier janvier, sur le fil, histoire de bien clôturer l'affaire, sans anticipation. Avant de vous dire qu'il s'annonce plein de bonnes choses musicalement parlant pour la nouvelle année, voici un récapitulatif de l'an dernier en 10 albums. 10 disques choisis le plus subjectivement possible, parce que ce sont ceux qui m'ont le plus emballé, le plus suivi pendant douze mois et qui je pense, me suivront le plus longtemps encore à l'avenir. 10- Young Fathers - Heavy, Heavy Ces jeunes pères de famille inventent une pop futuriste à partir de mixtures de TV On The Radio, Animal Collective ou autre Massive Attack. C'est brillant, novateur, stimulant, mais cela a parfois le défaut de ses qualités : notre cerveau est régulièrement en surchauffe à l'écoute de ces morceaux bien trop denses pour le commun des mortels, incapable de retenir autant de sons, d&